Ces récits sont à la croisée de l'autobiographie où le sujet, narrateur-acteur raisonne sur sa trajectoire et construit une identité narrative en mobilisant du document historique, et du récit ethnographique recueilli, en élaborant un roman familial dans la pénombre du souvenir. Ici, les récits de nos vies encombrées d'impératifs et d'injonctions de nos parents à la voix étranglée, exilés de l'extrême ou orphelins, ont tenté de délier des mouvements narratifs sur l'inimaginable du génocide de 1915.
Cet article examine certaines incompatibilités de langage entre l'ethnologue engagé dans un travail de mise en patrimoine et une « arène patrimoniale » désignant une mixité d'acteurs sociaux. Pour l'ethnologue, la participation à cette initiative publique - la création du Centre du Patrimoine arménien de Valence - se justifiait par le souhait de rendre communicable « un irreprésentable » toujours présent alors que du côté des acteurs sociaux, le langage muséal devait figurer de la continuité de mémoire.
Le lien communautaire, ce sont les récits d'une nouvelle territorialisation, la refondation d'un langage collectif et de nouveaux cadres sociaux de la mémoire, les dynamiques de transmission entre des générations à partir des fragments réappropriés d'une histoire nationale pulvérisée. Il ne s'agit pas ici d'une simple monographie locale sur les identifications de la minorité arménienne nouées à un lieu, mais d'un travail anthropologique sur des identités narratives produites en situation d'exil extrême. [Présentation de l'éditeur]
La Grande diaspora du XXe siècle consécutive au génocide de 1915 se caractérise par un dénuement extrême. Une part importante de la premiére génération diasporique est composée d'orphelins. La majorité des immigrés arrive par bateaux entiers à Marseille en 1923. Les témoignages relatifs à cette époque nous restituent un univers instable d'embauches brèves et précaires. De nombreux intermédiaires délivrent des contrats de travail, aidés par le Bureau International du Travail (BIT) et le Haut Commissariat pour les Réfugiés afin d'alimenter les industries françaises. En France, le déracinement contraint suscitera des pratiques tournées vers un projet de refondation du soi collectif. L'invention de territoires communautaires permettra de circonscrire des frontières entre un "dedans" et un "dehors" et garantira la formation d'un lien social régulier. Les relations entre l'Arménie et la diaspora, la tentation du retour en 1947, le mode générationnel, les comportements au travail ainsi que les nombreuses associations culturelles, cultuelles et politiques favoriseront tout au long d'une histoire de l'exil, des formes de continuité avec une mémoire collective. (Résumé de la revue)
Mise en évidence du lien existant entre la réalité sociale (couple territorialisation/déterritorialisation, lien social dans la dispersion, fait minoritaire, etc.) et les évolutions et les recompositions de l'imaginaire collectif.
L'Arménie, région de passage de l'Asie mineure, aux particularismes régionaux forts, cimente son unité par le biais de sa langue, de sa religion et de sa culture. Dominés par les Turcs à partir de 1325, les Arméniens vont subir l'exil puis le génocide en 1905 et émigrer dans de nombreux pays : la diaspora arménienne. En France, cette communauté s'organise autour d'une vie associative riche, à la mémoire collective et aux traditions très vivantes.
« La notion de diaspora s'inscrit dans une nouvelle dynamique des identités collectives et suscite en France un regain d'intérêt chez les anthropologues, les géographes, les sociologues et les politologues. Nous tenterons de démêler les liens entre la réalité sociale et cette notion... Pourquoi certains groupes revendiquent-ils un statut diasporique ?... Les discours sur les diasporas privilégient la recomposition de nouveaux modes « d'être ensemble » dans la dispersion, en construisant bien souvent des réponses positives aux situations d'exil, d'immigration, voire d'exclusion »(Résumé de la revue)
"L'auteur rend compte d'une pratique textuelle d'une violence (le génocide des Arméniens) oscillant entre l'objectif d'une interprétation et son impossibilité. L'écriture du génocide demande à la fois une attention aux thèmes qui la traversent mais aussi une réflexion sur l'écriture : elle ne se borne pas uniquement à décrire, ni même à transmettre des idées mais rejoint au plus près, sous la grande hétérogénéité des écrits, la forme du désordre engendré. L'écriture du génocide est indissociable des perceptions liées au statut du survivant, témoin direct du désastre mais témoin aussi d'un exil qui a désarticulé tout un univers de représentations. Enfin, cette écriture demeure profondément habitée par la question du déni et de ses conséquences." (Résumé de la revue)
Ce dossier présente des articles sur la question de nation et sur la question du lien social et de la diaspora chinoise et arménienne. Le cas des Arméniens en France se révèle particulièrement intéressant en termes de stratégies de préservation d'une conscience nationale venant réactiver des ressources symboliques collectives. La référence au passé, notamment "guerrier", semble être partagé par les deux "nationalismes" qui s'affrontent au Moyen-Orient, à savoir le sionisme et le nationalisme palestinien. Enfin, le cas antillais est abordé en relation à la multiplicité des brassages et à l'impossibilité d'y enraciner un mythe fondateur. Ces caractères semblent faire des expériences antillaises une préfiguration des dynamiques identitaires et culturelles des sociétés contemporaines.
L'auteur s'interroge sur la place du religieux dans la construction communautaire de la minorité arménienne en France, considérant qu'une communauté forme des territoires intermédiaires d'adaptation obéissant à des logiques de proximité. Après une brève approche historique de la Grande Diaspora du XXe siècle, elle étudie la pertinence de la composante religieuse et du légendaire national dans l'élaboration du lien communautaire ainsi que l'impact de l'Eglise apostolique et des traditions religieuses dans l'exil.
L'article s'attache, dans la problématique de l'ethnicisation, à la construction du "communautaire" en ce qu'elle reflète des tentatives de concilier des dissociations à l'oeuvre et favorise des combinaisons identitaires inédites à partir d'une appartenance commune remémorée et réinterprétée. L'analyse des pratiques sociales des minorités ethniques prises en tension entre un processus d'homogénéisation et de différenciation, montre que leur expérience répétée de la rupture (déterritorialisation, mobilités migratoires, transferts culturels, exil) pourrait conduire non pas à des formes régressives mais plutôt à des anticipations du lien social. Ainsi le sens communautaire loin de désigner une micro-société stable et constituée reproduisant des pratiques culturelles, se définirait davantage comme un langage de la solidarité donnant un sens collectif à une rupture intériorisée.
La problématique de cet article s'inscrit dans l'après-coup d'une enquête de terrain de longue durée sur le lien communautaire des Arméniens en France. La pertinence de ce lien fut tout au long de ce travail soumise au sens : pouvait-on parler en terme de communauté ? Les enjeux du communautaire résident moins dans le rapport aux organisations et aux formes instituées de l'appartenance que dans une proximité et un langage réinventés, où résonne l'expérience d'un exil qui avait fait "voler en éclats les systèmes d'articulation du symbolique". Ces enjeux où la continuité est interrogée à travers des discontinuités, suscitent la question du passage des générations et l'élucidation des processus d'identification qui lient la mémoire individuelle à la mémoire collective.
Dès 1925, près de la moitié des Arméniens réfugiés habitaient à Issy-les-Moulineaux ou à Alfortville. La diaspora issue de la rupture connaissait ces deux lieux. Chaque exilé savait qu'il pourrait compter sur le réseau d'entraide de la communauté pour faire étape ou fonder un foyer. L'auteur a recueilli le témoignage de ceux qui ont vécu cette période de l'histoire de la communauté arménienne et de ses territoires.