Cet article met en relation l'évolution démographique, économique et politique de la Turquie depuis la fin des années cinquante avec le développement des flux d'émigration et avec les relations de la Turquie avec l'Union Européenne. Face à une croissance très rapide de la population, les pouvoirs publics ont cherché à exporter l'excédent de main-d'oeuvre que l'économie du pays était incapable d'absorber. En outre, ils ont compté sur l'argent des émigrants pour équilibrer une balance des paiements déficitaires. Durant les années soixante, les pressions migratoires vers l'Europe ont été en partie régulées par des accords de main-d'oeuvre. Toutefois le freinage de l'immigration décidé par les pays européens en 1973-1974 a mis en question cette politique. Or les accords d'Ankara, signés en 1973, envisageaient l'entrée de la Turquie dans l'UE et la relative mise en place de la libre circulation. La non-application de cette disposition constitue un point nodal de litige entre la Turquie et l'UE. Ensuite, l'auteur décrit le fort potentiel d'émigration actuel de Turquie avec ses déterminants économiques et politiques. Les politiques européennes de maîtrise de l'immigration (qui sont essentiellement de nature sécuritaire) ne prennent pas en compte toutes ces nouvelles dimensions. L'analyse du cas turc démontre l'inefficacité des mesures adoptées par les pays européens puisque l'effectif des populations originaires de Turquie (turque et kurde) a été multiplié par quatre depuis 1974, passant de un à quatre millions de personnes.
Alors qu'elle ambitionne son intégration à l'Union Européenne, la Turquie n'a jamais été à la fois si proche et si éloignée de l'Europe. L'auteur met enexergue comment le conflit gréco-turc à Chypre et dans les îles de la mer Egée, l'islamisation de la vie publique, le nationalisme, l'expansionnisme, la guerre au Kurdistan, la repression permanente des libertés démocratiques constituent des grands obstacles pour le rapprochement turc avec l'Europe. Afin d'en éclairer la logique, ce texte interroge les fragilités et les contradictions de la politique turque contemporaine. Pour ce qui est du potentiel migratoire turc (quatre millions de ressortissants sur le sol de l'Union Européenne en 1998), depuis 1974 la situation économique et sociale dans ce pays a joué un rôle déterminant, dans la mesure où elle a amplement limité les retours et favorisé le départ de nouveaux migrants.