Pour comprendre le climat intellectuel des années 1950 et 1960, il est nécessaire de saisir les enjeux qui passionnent les contemporains : la conviction d'assister à une mutation fondamentale de l'ordre politique international et la nécessité de construire des conceptions entièrement nouvelles de sociétés qu'on s'accordait auparavant à présenter comme primitives et immobiles. Confrontées aux mouvements sociaux et politiques qui transforment l'Afrique à partir de la seconde guerre mondiale, les bureaucraties coloniales ont modifié leurs perspectives avant les chercheurs. Cet article montre comment les administrateurs coloniaux ont repensé l'ordre social et comment les chercheurs en sciences sociales ont pris le relais en proposant de nouvelles formes d'analyse. Il s'arrache à deux exemples en particulier : la réflexion économique sur le développement et la théorie de la modernisation. Mais il insiste aussi sur la contribution des enquêteurs de terrain qui observent une réalité plus complexe. Si les chercheurs ont été amenés à répondre à une demande d'expertise qui précédait en fait la constitution d'un discours scientifique solidement établi, on voudrait montrer ici qu'ils ont cependant réussi à proposer des interprétations nouvelles du changement social. (résumé de la revue)